lundi 29 janvier 2007

Salut Jean-Pierre!

Le café étudiant du collège Rosemont était bondé, comme à tous les midis du semestre d'automne 1992. À un bout de la table, les garçons piochaient sur un travail de philo déjà en retard, et à l'autre bout, les filles mangeaient leur sandwich en se demandant avec quel homme elles voudraient bien passer une soirée intime si on leur en donnait l'occasion:

- Moi, ce serait Tom Cruise!
- Bono! Il est tellement sexy...
- Keanu Reeves, c'est le plus beau!
- Et toi Galad?
- Comment?
- Tu la passerais avec qui ta soirée?
- Avec Jean-Pierre Ferland.

Les filles se sont tues et les garçons se sont tournés vers moi, puis tous ont éclaté de rire. J'eus droit à une série de qualificatifs peu flatteurs allant de «quétaine» à «gérontophile», mais je restai ferme:

- Oui, Jean-Pierre Ferland. Il est à la fois sexy, charmant et intelligent. Je me contenterais d'un petit souper au resto avec une bonne bouteille de rouge. Je l'écouterais me chanter la pomme ou encore me raconter ses histoires en me regardant dans les yeux, comme lui seul sait le faire. Sérieusement, aucune de vos vedettes hollywoodiennes ne lui arrivent à la cheville.

Les filles ont quitté la table en rigolant, les garçons sont retournés à Aristote et moi, je me suis replongée dans mon livre en fredonnant:

«Ça c'est pas du boudin, ça pousse pas comme des carottes
Ça prend une tête de linotte et un moral illimité
Pour trouver de la poésie dans un monde éconologique
Éduqué, paresseux, alcoolique et délicieux...»

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jeudi 25 janvier 2007

Galad se gèle la face

Faut vraiment aimer son dentiste pour se taper une heure et quart de métro et de bus quand le thermomètre frôle le -20˚ et qu'on n'a pas dormi depuis près de 24 heures. Mais bon, je lui fais confiance depuis que j'ai douze ans, il me connaît par mon prénom et ne m'a jamais imposé de traitement inutile. Au programme ce matin: le changement de deux vieux plombages pour des nouveaux tout blancs.

À neuf heures pile, je suis assise sur la chaise avec mon petit bavoir de papier bleu et Daniel s'avance vers moi avec sa seringue débordante de liquide anesthésiant. Il injecte celui-ci à trois ou quatre endroits stratégiques de ma gencive inférieure et me laisse deviser avec la charmante Nancy pour quelques minutes. En revenant, il me demande si ma lèvre est engourdie, ce à quoi je répond que j'ai l'impression que ma langue fait huit centimètres d'épaisseur, que ma joue droite est complètement gelée, mais que ma lèvre n'a rien perdu de ses sens. Il me rassure en disant que ça arrive à l'occasion, me perfore la gencive à nouveau, à trois reprises, et repart. Heureusement que Nancy est d'humeur aujourd'hui! On jase, on rigole, on se raconte nos vies... Mais la lèvre n'est toujours pas gelée! Découragé, Daniel m'annonce que je devrai revenir une autre fois, qu'il m'a déjà donné la double dose d'anesthésiant et qu'il ne peut rien faire de plus pour le moment. Mieux vaut ne pas prendre de chance, on est au moins d'accord là-dessus!

Me voici donc à l'arrêt de bus, à me geler les os jusqu'à la moelle, quand je réalise que ma lèvre inférieure est totalement insensible. Retour en courant à la clinique où Daniel consent à me revoir entre deux patients moyennant une attente de vingt minutes. Quelques magazines de décoration plus tard, je me retrouve étendue sur la chaise aux côtés de la Nancy morte de rire. On ouvre grand. Plus grand. Encore plus grand. Parfait. Daniel commence à m'installer un espèce d'écarteur pour garder ma bouche ouverte en le plantant là ou se trouve généralement la dent de sagesse quand soudain: «AÏEEEEEEE!» Le pauvre a sursauté autant que moi. Il a jeté ses gants sur le comptoir sans même me regarder et est disparu.

Il est 12:45h. J'ai fait près de trois heures de transport en commun pour rien, je suis levée depuis une trentaine d'heures et mon visage est trop gelé pour que je puisse même songer à fermer l'oeil...

Ou à mordre quelqu'un!

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vendredi 12 janvier 2007

Galad et les finances

À mon arrivée au boulot cet après-midi, on m'annonce que je suis attendue au département des ressources humaines. Avec un minimum de curiosité, je me pointe deux étages plus bas où m'attend un grand jeune homme en complet gris pâle:

- Bonjour Madame Galad! Je suis ici pour vous parler de vos finances personnelles.

- ...mes quoi?

- Ne vous inquiétez pas, nous allons y aller tranquillement. Dites-moi, quel est votre salaire annuel?

- J'sais pas trop... On peut vérifier avec la comptabilité.

- Ce ne sera pas nécessaire. Voyons plutôt votre budget: combien d'argent vous seriez prête à mettre de côté par mois.

- ... mon quoi?

- Vous savez qu'en tant que cadre, vous avez la chance de participer au régime d'épargne collective de la compagnie? Alors, en mettant un certain pourcentage de votre salaire dans un RÉER, vous pourrez vous planifier une petite retraite confortable.

- ... une retraite?

- Décidément, les finances ne semblent pas être votre dada. Dites-moi, préférez-vous des placements conservateurs ou plus agressifs?

- ...?

- Bon, nous pouvons organiser votre portefeuille pour vous. Il s'ajustera automatiquement au fil des ans. Dites-moi seulement à quel âge vous désirez prendre votre retraite.

- ... je dois décider ça maintenant?

- Allez, vous devez m'aider un peu! Dites un chiffre: 55? 60? 65 ans?

- ... dans une trentaine d'années, ça va?

- D'accord, j'écris en 2035. Avez-vous des questions?

- J'ai du boulot. Je peux remonter?



Voilà! Je ne sais pas trop ce qui s'est passé. J'ai griffonné ma signature ici et là, on s'est serré la pince et je suis repartie avec un paquets de documents, de brochures explicatives et de CD-roms. Non, les finances ne sont pas mon dada et aujourd'hui on m'a jetée de force dans le monde des adultes.

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lundi 1 janvier 2007

Un papillon dans une boîte d'allumettes


C'était il y a un peu plus de cinq ans, dans le petit village de Dahab au bord de la Mer Rouge. La fillette à mes côtés était une petite Bédouine de huit ou neuf ans du nom de Aïsha. Tous les jours, sans exception, elle venait s'asseoir avec moi au creux des coussins qui tapissaient le sol du petit resto où j'allais boire mon café. Tout comme les autres enfants de son clan, Aïsha a passé son enfance parmi les touristes, tentant si bien que mal de vendre des bracelets de corde qu'elle tressait sur place. Elle s'approchait des étrangers avec son grand sourire, écoutait attentivement leurs conversations, saisissait la langue et l'accent pour ensuite leur proposer des bracelets personnalisés aux couleurs du drapeau de leurs pays respectifs. Devant mon refus d'un bracelet rouge et blanc, elle s'était exclamée: «Ah! Tu dois être Québécoise alors, je vais t'en faire un joli bleu et blanc!». Quand un touriste refusait d'acheter un dixième bracelet, elle proposait de le jouer au sheish-beish (backgammon): «Si je gagne, tu me l'achètes, et si je perds je te l'offre». Aisha gagnait à tout coup. C'était une prestidigitatrice hors pair: elle savait comment manipuler les minuscules dés pour rouler des doubles aussi souvent que nécessaire. Je ne saurai jamais pourquoi elle avait choisi de ne pas tricher avec moi. Nos longues parties quotidiennes n'étaient interrompues que par l'arrivée d'un nouveau groupe de touristes: elle quittait alors son bout de coussin, son petit sac de cordes colorées sous le bras, et partait tenter de soustraire quelques pièces aux nouveaux venus. Bien entendu, l'argent recueilli n'était pas pour elle, il passerait directement dans les poches de son père, mais Aïsha adorait son travail. Elle répétait à qui voulait l'entendre que son petit boulot lui permettait de rencontrer des gens de partout, d'apprendre des tas de langues, de voyager à sa façon.

Aujourd'hui, en ouvrant mon vieil ordinateur que je croyais hors d'usage, je suis tombée sur cette photo qui me servait de fond d'écran. J'ai eu un pincement au coeur en pensant à la petite Aïsha qui a probablement passé l'âge de traîner dans les cafés du bord de la Mer Rouge. Comme toutes les adolescentes de son peuple, elle doit maintenant être confinée aux tâches domestiques d'une petite cabane dans le désert. Un papillon dans une boîte d'allumettes. Sa belle chevelure est sûrement cachée par un sobre foulard noir et la compagnie des hommes, et des touristes en général, doit lui être strictement interdite.

Si j'avais un voeux à formuler pour la nouvelle année, ce serait que toutes les petites Aïsha du monde puissent ne jamais grandir et papillonner librement toute leur vie. Loin du désert.

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