lundi 1 janvier 2007

Un papillon dans une boîte d'allumettes


C'était il y a un peu plus de cinq ans, dans le petit village de Dahab au bord de la Mer Rouge. La fillette à mes côtés était une petite Bédouine de huit ou neuf ans du nom de Aïsha. Tous les jours, sans exception, elle venait s'asseoir avec moi au creux des coussins qui tapissaient le sol du petit resto où j'allais boire mon café. Tout comme les autres enfants de son clan, Aïsha a passé son enfance parmi les touristes, tentant si bien que mal de vendre des bracelets de corde qu'elle tressait sur place. Elle s'approchait des étrangers avec son grand sourire, écoutait attentivement leurs conversations, saisissait la langue et l'accent pour ensuite leur proposer des bracelets personnalisés aux couleurs du drapeau de leurs pays respectifs. Devant mon refus d'un bracelet rouge et blanc, elle s'était exclamée: «Ah! Tu dois être Québécoise alors, je vais t'en faire un joli bleu et blanc!». Quand un touriste refusait d'acheter un dixième bracelet, elle proposait de le jouer au sheish-beish (backgammon): «Si je gagne, tu me l'achètes, et si je perds je te l'offre». Aisha gagnait à tout coup. C'était une prestidigitatrice hors pair: elle savait comment manipuler les minuscules dés pour rouler des doubles aussi souvent que nécessaire. Je ne saurai jamais pourquoi elle avait choisi de ne pas tricher avec moi. Nos longues parties quotidiennes n'étaient interrompues que par l'arrivée d'un nouveau groupe de touristes: elle quittait alors son bout de coussin, son petit sac de cordes colorées sous le bras, et partait tenter de soustraire quelques pièces aux nouveaux venus. Bien entendu, l'argent recueilli n'était pas pour elle, il passerait directement dans les poches de son père, mais Aïsha adorait son travail. Elle répétait à qui voulait l'entendre que son petit boulot lui permettait de rencontrer des gens de partout, d'apprendre des tas de langues, de voyager à sa façon.

Aujourd'hui, en ouvrant mon vieil ordinateur que je croyais hors d'usage, je suis tombée sur cette photo qui me servait de fond d'écran. J'ai eu un pincement au coeur en pensant à la petite Aïsha qui a probablement passé l'âge de traîner dans les cafés du bord de la Mer Rouge. Comme toutes les adolescentes de son peuple, elle doit maintenant être confinée aux tâches domestiques d'une petite cabane dans le désert. Un papillon dans une boîte d'allumettes. Sa belle chevelure est sûrement cachée par un sobre foulard noir et la compagnie des hommes, et des touristes en général, doit lui être strictement interdite.

Si j'avais un voeux à formuler pour la nouvelle année, ce serait que toutes les petites Aïsha du monde puissent ne jamais grandir et papillonner librement toute leur vie. Loin du désert.

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3 Comments:

Blogger Daniel Rondeau a ajouté...

Personne n'Aisha des beaux textes comme celui-ci! (Pat, sors de ce corps!)

2 janvier 2007 à 14 h 57  
Blogger Mamathilde a ajouté...

C'est vraiment une belle histoire avec une finale qui pince le coeur.

5 janvier 2007 à 11 h 08  
Blogger Galad a ajouté...

Eh bien... merci à vous trois!

5 janvier 2007 à 13 h 19  

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