Brigades d'hier
La première fois qu'on m'a demandé ce que je voulais faire plus tard, j'ai répondu, du haut de mes cinq ans, que je serais brigadière. Pas d'ambitions, vous pensez? Eh bien détrompez-vous! La dame au dossard orangé qui me faisait traverser le petit boulevard sur le chemin de la maternelle était la personne qui me semblait la plus heureuse du monde. Toujours souriante, beau temps mauvais temps, elle avait de belles grosses joues toutes rouges et des petits yeux rieurs. Voilà des décennies que j'ai oublié son nom, mais je me rappelle qu'elle nous demandait tous les matins si nous avions bien dormi et au retour le soir, elle insistait pour qu'on lui montre les bricolages qu'on avait fait durant la journée. C'est avec une grande fierté que je lui montrais le dessin au crayon feutre d'un oiseau qui ressemblait à un hélicoptère écrasé ou un auto-portrait en bonhomme allumette. Et c'est avec un sourire tout a fait crédible qu'elle me disait que j'étais une très grande artiste. Moi je la croyais, comme je croyais qu'elle avait le plus beau métier du monde.
Cette histoire m'est revenue en tête en croisant les brigadières du boulevard St-Joseph ce matin. Si je suis toujours aussi nulle en dessin, les traverseuses fluorescentes semblent, quant à elles, avoir perdu leurs jolis sourires. Peut-être que ce sont les enfants qui ont changés. Ou le monde en général. Je me suis demandé si elles portaient une arme dans certains quartiers de la ville. En tous les cas, même si je n'ai toujours pas de plan de carrière bien défini, je me félicite de m'être détournée de ma première «vocation».
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