vendredi 28 janvier 2005

Auschwitz... ou presque

Plusieurs millions de personnes de par le monde célébraient hier le 60ième anniversaire de la libération des prisonniers d'Auschwitz. Quelques centaines de survivants du massacre, venus des quatre coins du globe, ainsi que des dignitaires de quelques pays se sont réunis sur le site pour ne pas oublier. Ne pas oublier de se souvenir.

Il y a quatre ans, presque jour pour jour, je suis passée à deux doigts d'aller visiter les restes des différents camps de concentration. J'avais quitté mon petit nid douillet de Cesky Krumlov, adorable village au creux des montagnes de Bohême du Sud à l'extrême sud de la République Tchèque, pour aller visiter des copains dans l’est du pays pendant quelques semaines. Une heure et demie de train pour me rendre à Ceske Budejovice, la station de transit, deux heures à traîner dans les rues et à m'empiffrer de clobassa. Un autre quatre heures de train pour Prague, et après une bonne nuit de sommeil, une demi-journée de trajet en direction d'Ostrava. Le lendemain de mon arrivée, Honza, un type très sympathique que j'avais rencontré en Israël l'été précédent, se donna comme mission de servir de guide pour la journée et de me faire visiter le centre-ville d'Ostrava, sa ville natale. Pas grand chose à voir, beaucoup à boire et à manger, un peu à fumer pour oublier qu'il n'y avait pas grand chose à voir.

En flânant devant l'hôtel de ville, histoire de contempler une statue plutôt originale, je constatai que l'immeuble avait une tour dans laquelle on semblait pouvoir monter. «La vue doit être belle de là-haut!» Un peu d'exercice par une journée de janvier, ça réchauffe. Effectivement, la vue était très belle! Un regard vers l'ouest nous dévoilait la régularité des artères, la symétrie des immeubles et le charme des cours intérieures, des enfants qui bravaient le froid pour jouer dans la neige. Une liberté nouvelle, parfois mal assimilée, pour ces habitants qui moins de dix ans plus tôt étaient encore sous le régime soviétique. Du côté est, il y avait beaucoup moins d’immeubles, ça semblait plutôt désert : une petite rivière et, au fond, quelques montagnes. «Qu’est-ce qu’il y a par là?» Honza me dit que les montagnes en question étaient de l’autre côté de la frontière polonaise, celle-ci se trouvant à moins de 20 kilomètres de l'endroit où nous étions. Évidemment, je savais qu’Ostrava était près de la Pologne, mais je n’avais pas réalisé à quel point.

J’eus soudain une illumination : je devais y aller, je devais aller voir les camps de concentration, d’autant plus que mon premier séjour de près de six mois en Israël m'avait sensibilisée, plus que jamais, à l’histoire des Juifs d’Europe. Je fis ni une ni deux et redescendis de la tour. Comme je me trouvais déjà à l’hôtel de ville, je m’informai tout de suite des coordonnées de l’ambassade polonaise. Honza, en gentil guide, me servit d’interprète et téléphona pour moi. En moins de trois minutes, il avait toutes les informations sur les trajets de train et de bus pour me rendre à la frontière, ainsi que sur les modalités relatives à l’obtention du visa. Désenchantement : pour entrer en Pologne, je devais débourser 60 US$, soit l’équivalent de 100$ avec le taux de change de l’époque. Il me restait bien quelques centaines de billets verts de l’oncle Sam (gagnés à raison de 3$ de l’heure à Tel Aviv), mais je ne prévoyais pas rentrer au Québec de sitôt. Le moindre billet avait donc son importance. Je pouvais toujours tenter ma chance et ensuite vendre ma guitare en cas de sérieux manque de fonds. Je m’allouai deux ou trois jours de réflexion et décidai, en bout de ligne, de ne pas y aller. De toutes façons, je ressentais un certain malaise à l’idée d’aller visiter ces manufactures de la mort.

Quatre ans plus tard, confortablement installée dans mon petit appartement avec vue sur le Mont-Royal, le malaise persiste. Est-ce réellement à cause du coût du visa que je ne me suis pas rendue en Pologne? Ou était-ce plutôt par gêne d’aller visiter ces lieux comme d’autres visitent un zoo? Aurais-je dû y aller? Aurait-ce été pour les bonnes raisons? Existe-t-il des bonnes raisons d’aller voir ces lieux qui ont vu mourir des millions d’innocents? Bien entendu, l’expérience m’aurait changée, m’aurait affectée au plus haut point. J’en aurais souffert, c’est certain. Mais était-ce une raison suffisante pour y aller? ou pour ne pas y aller? Sur le coup, je me suis défilée en utilisant pour cause officielle le manque de fonds. Maintenant j’ai des doutes. Je me sens comme étrangère à moi-même. J’ai beau fouiller, je ne trouve pas l’explication que je cherche. Je pense que j’ai peut-être eu peur. De quoi exactement? Je ne le sais pas. Le malaise persiste…

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mardi 25 janvier 2005

Fallait y penser!

«L'important, dans la vie, c'est ça qui compte.»
Yvano Viens

dimanche 23 janvier 2005

Yo manqué fè'm pedu têt moin

— Bonjour!

— ...

La voiture démarre

— Vous ne voulez pas savoir où je vais?

— ...

— Bon, comme je considère que c'est un détail qui a son importance, je me permets de vous informer de ma destination. Je vais au 155 rue Unetelle.

— ...

Je me dis qu'entre le dernier tube de Radio-Antille à plein volume et la forte voix du répartiteur, mon chauffeur ne m'entend pas bien. J'hausse le ton:

— JE VAIS AU 155 RUE UNETELLE

J'ai tout juste droit à un semblant de regard dans le rétroviseur. Je choisi de considérer ce mouvement de sa part comme un accusé de réception et décide de me calmer. Je m'installe sur la banquette et prend une grande respiration. J'aurais dû m'abstenir de respirer par le nez, l'odeur qui règne dans le taxi est insupportable: un malheureux mélange de papier journal mouillé, de trois ou quatre différentes couleurs de désodorisants en forme de sapins et des restes d'un repas de la semaine dernière. Sans compter les effluves corporelles du chauffeur. Pitié!

Nous n'avons pas encore parcouru trois coins de rues que le téléphone cellulaire de l'homme se fait entendre. Manquait plus que ça! S'ensuit une discussion plutôt animée. Le chauffeur a l'air de plus en plus fâché, à moins qu'il ne gueule que pour enterrer la cacophonie ambiante. Toujours est-il que je m'aperçois rapidement qu'il chiale à propos de moi, ou plutôt de cette course, trop courte à son goût, qui ne lui fera certainement pas payer son loyer. Non, mais vas-y, fais comme si je n'étais pas là! Je décide d'entonner Ti zwézo, ma chanson préférée du répertoire de la chorale créole à laquelle j'étais inscrite à 12 ans. Quand le bonhomme va réaliser que je comprend sa langue, il sera sûrement mal à l'aise et il se taira, bordel! Rien à faire. Je suis absolument impuissante, coincée entre la musique antillaise, le dispatcher et l'hystérique qui est au volant. Avec tout ça, je commence à avoir un sérieux mal de tête. Bom'm la pen compè'm!

Dix minutes plus tard, j'arrive tout de même à destination, exaspérée mais en un seul morceau. Je tend le montant exact au chauffeur. Tout en continuant sa conversation téléphonique, il me dévisage avec mépris. Il me prend fort probablement pour une de ces ti-mounes mal élévées qui ne laissent jamais de pourboire. J'ai gardé mon air impassible et j'ai claqué la porte de la voiture.

Finalement, ça ne s'est pas si mal passé aujourd'hui!

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mardi 11 janvier 2005

Quand une bonne nouvelle nous donne envie de gerber

Il y a quelques mois, le directeur général nous a convoqués à une réunion, prétextant avoir une excellente nouvelle à nous apprendre. « Certaines choses vont changer ici, dit-il avec son plus beau sourire. Les propriétaires ont décidé d’acheter une franchise.» Toujours avec son air aussi enjoué, il nous décrit quelques uns des changements en question : le produit que nous offrions à nos clients allait être légèrement modifié afin de correspondre aux standards de « notre » nouvelle chaîne, nous allions nous doter d’un nouveau système informatique génial relié à une centrale aux États-Unis, tel espace allait être rénové, les uniformes allaient changer. « Vous verrez, nos affaires vont monter en flèche! J’ai eu vent que quelques uns de nos concurrents en étaient déjà à élaborer un plan de contre-attaque. N’est-ce pas merveilleux? »

Merveilleux? Pardon, vous dites?

Qu’est que qui est merveilleux au juste? Le fait de devoir expliquer à nos clients réguliers qu’ils n’auront désormais plus accès à ceci et à cela, ces mêmes avantages qui leur faisaient choisir cette entreprise plutôt qu’une autre? Le nouveau système informatique américain qui ne reconnaît pas les accents? Les polos de flanelle bleus ou jaunes (avec logo, faut-il préciser) qui remplaceront nos sobres vestons et nos chemises blanches? À moins que ce ne soit l’obligation d’offrir à tous nos visiteurs de devenir membre de notre club prioritaire, reconnu mondialement?

Non, attendez Monsieur le directeur général, je crois avoir compris. Ce qui est merveilleux c’est qu’en plus d’avoir perdu sa marque distinctive, son cachet européen, son nom français et son indépendance, la boîte doit maintenant majorer ses tarifs (incluant ceux de ses clients les plus fidèles) d’au moins dix pour cent, puisque c’est le pourcentage des revenus annuels qui devra être retourné aux États-Unis.

Est-ce là notre nouvelle réalité? Sous prétexte de pouvoir faire quelques sous de plus, toutes les entreprises finiront-elles par se plier à un nivellement par le bas afin de correspondre aux standards de nos voisins du sud?

Je vous demande pardon Monsieur le directeur, je ne me sens pas très bien.
Vous permettez que je sorte prendre l’air?
Comment? Ce n'est plus permis? Ah bon...

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dimanche 9 janvier 2005

Il y a longtemps que je t'aime...

Tu es entré dans ma vie par une froide nuit d'hiver. Jusque-là, ma vie n'avait eu aucun sens, je la vivais comme on fait son lit le matin: en me demandant à quoi ça pouvait bien servir de se donner autant de mal.

Je me rappelle très bien de cette première fois où je t'ai vu. Évidemment, j'ai eu une petite crainte sur le coup, je savais très bien que ma routine allait être bousculée, comme c'est le cas chaque fois que quelqu'un s'installe dans notre quotidien. Mais j'ai tout de suite eu la certitude que j'allais t'aimer, et de façon inconditionnelle.

Comme j'ai dû être maladroite les premiers temps! Pourtant, tu ne semblais pas t'en soucier. Avec moi, tu as toujours su faire preuve de tant de patience et de compréhension. Combien d'heures as-tu passé à m'écouter te parler de Platon ou de Nietzsche, alors que la philo devait être la dernière de tes préoccupations? Même ces repas ratés que je nous préparais, tu les as tous mangés sans sourciller, probablement conscient de l'effort que j'avais pu mettre à les cuisiner, malgré tout. Ils sont tellement nombreux ces petits moments, gravés à jamais!

Aujourd'hui, nos rencontres se font plutôt rares. Le temps fait son oeuvre. Tu as ta vie et j'ai la mienne. Il m'arrive encore de faire mon lit à l'occasion, mais maintenant j'y trouve un certain plaisir!

Tu es entré dans ma vie par une froide nuit d'hiver, il y a de ça 21 ans.
Je t'en serai toujours reconnaissante.
Bonne et heureuse fête p'tit frère!

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