mardi 20 février 2007

De la richesse

Quand il s'est pointé devant moi, le premier soir, j'ai tout de suite su qu'il était de cette race que je peux difficilement supporter. Le genre de bonhomme, riche et fier de l'être, qui s'attend à ce que tout le monde se plie en quatre devant sa Mercedes de l'année et ses barreaux de chaise à trois cent dollars l'unité. Mais moi, vous me connaissez, je ne me laisse pas intimider par un gaillard dont l'arrogance n'a d'égale que son compte en banque. Je dû même le ramener à l'ordre: «Je suis ici pour vous aider, Monsieur Peterson. Je vous demanderais de rester poli.» Il m'a quittée en disant que j'étais a wonderfull woman et je me suis abstenue de le remercier.

La nuit était assez avancée quand il fit irruption le lendemain. Comme il ne sentait pas l'alcool, je me dis que son visage bouffi était sûrement dû à l'insomnie. Il me demanda s'il y avait un endroit où il pouvait fumer un cigare et je n'eus pas le temps de lui montrer la porte qu'il éclata en sanglots. Des larmes coulaient encore sur ses joues quand il m'expliqua qu'il avait reçu des mauvaises nouvelles de la police d'état la journée même: sa jeune fille de vingt-deux ans, belle comme le printemps et diplômée avec mention honorable de l'Université Harvard, lui avait volé mille dollars pour se piquer à l'héroïne. Depuis un peu plus d'un an, elle consomme tout ce qui lui tombe sous la main: smack, coke, crystal meth. Surtout du crystal meth. Depuis un peu plus d'un an, elle est passée de 130 à 85 livres. Un cadavre sur pattes. À ce rythme là, il est certain qu'elle ne se rendra pas à son vingt-cinquième anniversaire. Monsieur Peterson m'a regardé droit dans les yeux: «Je suis riche, extrêmement riche, mais aujourd'hui je réalise que tout l'argent du monde ne pourrait me redonner ma fille. J'ai offert de lui payer le meilleur centre de désintoxication des États-Unis, mais elle est majeure et je ne peux la forcer. Pour la première fois de ma vie, tous mes millions ne me sont d'aucun secours.» Sur les vieilles mains tremblantes, croisées sur le comptoir, il y avait les miennes. Et sur les miennes tombaient les chaudes larmes d'un homme soudainement ordinaire et profondément malheureux. Nous sommes restés comme ça longtemps, l'un en face de l'autre, pigeant à tour de rôle dans la boîte de mouchoirs à nos côtés.

Puis le jour s'est levé. Et un homme d'une grande pauvreté m'a serrée dans ses bras.

Libellés :

9 Comments:

Blogger Pierre-Léon Lalonde a ajouté...

Ton texte est touchant mais ton personnage n'arrive pas à m'émouvoir. Son désarroi à rebours m'horripile. T'avais qu'à allumer mec!

21 février 2007 à 04 h 06  
Blogger Marieve Gagné a ajouté...

Le temps qu'on perd ne revient pas...
le temps qu'on prend dure toujours.

21 février 2007 à 09 h 54  
Blogger Daniel Rondeau a ajouté...

Ce n'est pas parce quele jour se lève qu'il fait clair.

21 février 2007 à 11 h 56  
Blogger Marc-Alex a ajouté...

Très touchant, en espérant que cet homme apprendra à ne pas s'enfler la tête avec son argent. S'il continue à être ce qu'il est, il restera "pauvre" ...

21 février 2007 à 12 h 14  
Blogger Patrick Dion a ajouté...

Il n'est jamais trop tard pour bien faire.

21 février 2007 à 12 h 43  
Blogger Galad a ajouté...

L'an dernier, quand j'ai vu les photos avant après de la petite Angela Fatino, suicidé à 14 ans (après avoir passé deux ans sur le crystal meth), j'ai tout de suite ressenti une profonde peine pour les parents. Pourtant, en tentant de réconforter mon millionnaire l'autre nuit, c'est pour sa fille que j'avais de la peine.

Allez savoir...

21 février 2007 à 18 h 05  
Blogger Galad a ajouté...

Pour ceux qui n'auraient jamais vu lesdites photos d'Angela Fatino, prises à un an et demi d'intervalle:
http://www.etape.qc.ca/drogues/crystalmeth_fichiers/image001.jpg

21 février 2007 à 18 h 15  
Blogger Mamathilde a ajouté...

La première chose à laquelle j'ai pensé justement, c'était ces photos que tu avaient mises en lien il y a quelques moi. Des photos d'horreur.

J'ai toujours eu peur des drogues dures et à lire ce que tu écris, j'en suis bien heureuse.

22 février 2007 à 12 h 04  
Blogger La Souris (Marie-Ève Landry) a ajouté...

Je suis incapable de rester froide devant la déchéance de qui que ce soit... même celle des personnages les plus insensibles.

22 février 2007 à 20 h 07  

Publier un commentaire

<< Retour chez Galad