Alain
Comme à tous les jours, la cloche retentit à 11:15h. Je me faufilai au travers du brouhaha de la classe jusqu'au corridor pour y enfiler mon manteau trois-quart, mes petites bottes, mes jambières de laine et mes mitaines assorties, pour ensuite descendre l'escalier qui menait vers la porte principale. À l'extérieur, des petits groupes d'enfants se formaient et s'éloignaient bruyamment. Dans un coin de la cour, je reconnu la petite Nancy avec laquelle je marchais habituellement le kilomètre qui séparait l'école de la rue où nous habitions. Deux autres enfants se trouvaient avec elle: Mélanie, maladivement jalouse de moi, et Alain, un garçon de ma classe trop discret pour que je n'aie jamais pu échanger une parole avec lui.
Sur le chemin de la maison se trouvait un grand parc divisé en deux: la partie nord était aménagée pour le jeu (balançoires, terrain de baseball et piscine publique), tandis que la partie sud, jamais défrichée, était restée à l'état de forêt. Malgré l'interdiction de nos parents, nous coupions souvent au travers de l'aire de jeu en revenant de l'école, mais ce midi là, Mélanie insista pour que nous passions plutôt par le bout de forêt. De nature passablement peureuse, j'hésitai à m'engager dans le sentier mais calculai qu'il valait probablement mieux suivre le groupe que de devoir faire le grand détour toute seule.
Avec la neige de cette fin d'hiver, les sentiers étaient pratiquement invisibles. Nous marchions à la queue leu leu sur la neige qui craquait sous nos petites bottes quand je me sentis soudain perdre pied. Nous nous étions trop éloigné du sentier et la glace, bien cachée sous la neige, venait de céder sous mon poids. Avant que j'aie pu réaliser ce qui se passait, j'avais de l'eau jusqu'au menton. Quelques rapides mouvement des bras n'aidèrent pas à ma cause: impossible de m'agripper, la glace était maintenant trop fragile. Je regardai autour de moi et constatai que Mélanie (encore elle!) venait de prendre Nancy par le bras pour sortir de la forêt avant de se faire gronder. Ne restait plus que le petit Alain de sept ans, comme moi, qui me regardait de ses grand yeux terrifiés. Comme je ne touchais pas le fond, je devais bouger les jambes pour me garder la tête hors de l'eau glacée, mais je savais que je ne pourrais pas tenir longtemps: mes vêtement d'hiver remplis d'eau m'attiraient vers le bas et le froid qui gagnait mes muscles rendait tout mouvement de plus en plus difficile. Impossible de crier. J'entendis ma propre voix murmurer à Alain: «Ne pars pas, s'il-te-plaît....» Déjà, il regardait autour de lui, cherchant en vain un moyen de me sortir de là. Il tenta un timide pas dans ma direction mais se ravisa en entendant un lourd craquement. Sans dire un mot, il recula d'un mètre ou deux, s'allongea sur le ventre et se mit à ramper lentement dans ma direction. Alors que son petit corps s'avançait vers moi, je lisais dans ses yeux une peur indescriptible. Si la glace cédait, c'en était fini pour moi et pour lui, il le savait. Finalement, sa main toucha la mienne et, sans que je ne me souvienne comment, il réussi à me tirer hors de l'eau. Comme mes jambes ne pouvaient plus me supporter, il passa son épaule sous mon bras et m'aida à franchir les cinq cent mètres qui nous séparaient encore de la maison. Quand il ouvrit enfin la bouche, ce fut pour me souhaiter bon appétit en me laissant devant la porte.
Ce petit garçon que je ne connaissais pas venait probablement de me sauver la vie, au péril de la sienne, et je me demande si je l'ai jamais remercié.
Sur le chemin de la maison se trouvait un grand parc divisé en deux: la partie nord était aménagée pour le jeu (balançoires, terrain de baseball et piscine publique), tandis que la partie sud, jamais défrichée, était restée à l'état de forêt. Malgré l'interdiction de nos parents, nous coupions souvent au travers de l'aire de jeu en revenant de l'école, mais ce midi là, Mélanie insista pour que nous passions plutôt par le bout de forêt. De nature passablement peureuse, j'hésitai à m'engager dans le sentier mais calculai qu'il valait probablement mieux suivre le groupe que de devoir faire le grand détour toute seule.
Avec la neige de cette fin d'hiver, les sentiers étaient pratiquement invisibles. Nous marchions à la queue leu leu sur la neige qui craquait sous nos petites bottes quand je me sentis soudain perdre pied. Nous nous étions trop éloigné du sentier et la glace, bien cachée sous la neige, venait de céder sous mon poids. Avant que j'aie pu réaliser ce qui se passait, j'avais de l'eau jusqu'au menton. Quelques rapides mouvement des bras n'aidèrent pas à ma cause: impossible de m'agripper, la glace était maintenant trop fragile. Je regardai autour de moi et constatai que Mélanie (encore elle!) venait de prendre Nancy par le bras pour sortir de la forêt avant de se faire gronder. Ne restait plus que le petit Alain de sept ans, comme moi, qui me regardait de ses grand yeux terrifiés. Comme je ne touchais pas le fond, je devais bouger les jambes pour me garder la tête hors de l'eau glacée, mais je savais que je ne pourrais pas tenir longtemps: mes vêtement d'hiver remplis d'eau m'attiraient vers le bas et le froid qui gagnait mes muscles rendait tout mouvement de plus en plus difficile. Impossible de crier. J'entendis ma propre voix murmurer à Alain: «Ne pars pas, s'il-te-plaît....» Déjà, il regardait autour de lui, cherchant en vain un moyen de me sortir de là. Il tenta un timide pas dans ma direction mais se ravisa en entendant un lourd craquement. Sans dire un mot, il recula d'un mètre ou deux, s'allongea sur le ventre et se mit à ramper lentement dans ma direction. Alors que son petit corps s'avançait vers moi, je lisais dans ses yeux une peur indescriptible. Si la glace cédait, c'en était fini pour moi et pour lui, il le savait. Finalement, sa main toucha la mienne et, sans que je ne me souvienne comment, il réussi à me tirer hors de l'eau. Comme mes jambes ne pouvaient plus me supporter, il passa son épaule sous mon bras et m'aida à franchir les cinq cent mètres qui nous séparaient encore de la maison. Quand il ouvrit enfin la bouche, ce fut pour me souhaiter bon appétit en me laissant devant la porte.
Ce petit garçon que je ne connaissais pas venait probablement de me sauver la vie, au péril de la sienne, et je me demande si je l'ai jamais remercié.
Tout ce qu'il me reste aujourd'hui, outre ma gratitude, c'est cette photo de groupe. Alain est au centre de la dernière rangée. Je ne sais pas ce que je donnerais pour le revoir un jour...
Libellés : Je me souviens
20 Comments:
Cette histoire craquante donne froid dans le dos.
(Bon, ok, j'arrête mes commentaires niaiseux (mais sincères).)
Ton père va-t-il acheter un BBQ à Alain?
(ok, ok! je me tais!)
J'ai aussi eu froid dans le dos et des frissons sur toute la surface de mes émotions. Je voyais la peur dans les yeux d'Alain.
Très fort texte Galad. Très, très fort.
J'ai connu un petit Alain à la maternelle. Il me lancait des boulettes de plasticine dans la cour d'école.
On a les Alains qu'on mérite, j'imagine...
Dan: Bonne idée, le barbecue, je pourrais m'en servir comme appat pour retrouver Alain...
Mama: La peur dans les yeux du petit garçon est sûrement le souvenir le plus clairement conservé de mon enfance.
Zhom: C.Q.F.D!
Belle façon de briser la glace.
Un baiser à celui (ou celle) qui me trouvera sur la photo.
Eh bien, j'hésite entre la robe bleue à bretelles au centre de la première rangée, la même robe mais avec des collants rouges à droite de la première rangée, et à l'extrême droite, avec la cravate...
La cravate sur la première rangée ou sur la troisième? ;o)
J'suis étonnée qu'il n'y ait pas plus de participation. Vous ne vous attendez pas à ce que j'offre un barbecue quand même!
Euh... La petite fille en bleu, juste à côté de la prof, en bas à gauche?
La dernière rangée derrière, à côté de monsieur le directeur (?) ??
Les collants rouges dans la première devant ??
T'étais malade le jour de la photo pis t'es pas dessus?
Nonon, j'suis là.
Et toute là!
Non, la petite fille en bleu, juste à côté de la prof, en bas à gauche, c'est moi!
On nous confonds encore!
Que veux-tu, on était aussi mignonne l'une que l'autre!
Merci encore pour la photo, charmante hobbit.
Je t'en dois une!
Un souper sur le fameux barbecue!?
Mais Galad, si t'as mis une robe sur ta photo, comment tu veux qu'on te reconnaisse! Déjà que c'est difficile quand on te vois live et en personne dans un tel accoutrement! C'est de la triche. Pfffffffff!
Je refuse de participer pour ne pas recevoir ensuite un pichet sur la tête !
Un pichet sur le bras serait sûrement beaucoup plus apprécié...
Roulements de tambours... taratata...
Le baiser ira à Daniel!
Je suis la petite au centre, avec la petite robe noire. Ne trouvez-vous pas que j'ai la mine d'une souveraine entourée de sa cour?
Alors, ce pichet ?
Il était très bon, merci.
;o)
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