mercredi 16 février 2005

Quand Big Brother dépasse la fiction

En lisant 1984, il y a de ça plusieurs années, j’ai eu un choc. Disons un léger choc. J’ai d’abord été frappée par le côté absolument visionnaire d’Orwell, par la justesse de ses propos. Mais en poursuivant ma lecture, j’ai rapidement réalisé que je savais déjà tout ça, que j’en avais l’intuition du moins, du haut de mes vingt ans. Plutôt que de m’apprendre quoi que ce soit, le bouquin avait réussi à me donner les mots pour décrire ces intuitions. Orwell a, en quelque sorte, bâti un monde de références: très rares sont les apparitions télévisuelles du président américain (pour ne nommer que celui-ci) qui ne me rappellent pas un passage de 1984. Si le propre des leaders politiques (j’aurais envie d’ajouter: et économiques) fut, à une époque, de dire ce que les gens voulaient entendre, il est maintenant de dire ce que les gens doivent croire. Les innombrables caméras dans les rues de la plupart des métropoles ont été installées pour notre sécurité, idem pour les scanners d’iris dans les aéroports, pour le droit à l’écoute de lignes téléphoniques privées, et j’en passe des bien pires.

Ce long préambule m’amène à un court encadré en page A2 de La Presse de ce matin qui a capté mon attention. En voici un extrait :

«Une école californienne oblige ses élèves à porter des dispositifs qui permettent de suivre leurs moindres mouvements. [...] les macarons sont munis d’un émetteur qui permet de garder la trace des enfants. Ils enregistrent leurs allées et venues lorsqu’ils passent devant des bornes installées à l’entrée des salles de classe et dans les toilettes [...]»

On ne parle pas ici de dangereux criminels récidivistes en liberté conditionnelle, il s’agit de jeunes adolescents qui fréquentent l’école. Qu’on garde un œil sur les délinquants passe toujours, mais qu’on oblige la totalité de la population étudiante d’une école à jouer au troupeau de bétail industriel, ça me dépasse. Non, ça me fait carrément peur. Au nom d’un besoin de protection des lieux contre le vandalisme dont seule une poignée de jeunes doit être responsable, des centaines d’enfants seront scannés plusieurs fois par jour comme de vulgaires boites de sardines à l’épicerie. Pour l’instant, il semblerait que ce soit un cas isolé, mais c’est déjà un cas de trop. Une école ou mille, où est la différence? À quand le code CUP sur chacun d’entre nous? Si les parents laissent passer l’usage de cet «outil de surveillance», à quoi ressemblera le monde de demain? J’ai beau m’insurger, je suis étouffée par un sentiment d’impuissance. Que peut-on faire en tant que société? Merde! Si vous le savez dites-le moi. J’en ai vraiment froid dans le dos.

Bon, il faut que je vous laisse là-dessus, mon télécran me signale qu’il est temps d’aller dormir.

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5 Comments:

Anonymous Anonyme a ajouté...

Ça leur prendrait une bonne vieille révolution, tu crois pas?
Juste une idée comme ça, avant de se faire tatoué le CUP...

Hasta la revolucion siempre!

16 février 2005 à 10 h 45  
Blogger Coyote inquiet a ajouté...

Regarde autour de toi, Galad... Des outrages à la liberté et à la dignité, il n'y en a pas qu'ailleurs. On aime bien les suivre de près.

Excellent, ton texte. Fait beaucoup réfléchir.

16 février 2005 à 12 h 07  
Anonymous Anonyme a ajouté...

Lire des bouquins d’anticipation, dont le fameux 1984, ça soulève des questions. Dont, celle-ci : si, certains auteurs, peuvent visualiser le futur d’un point de vue réaliste, et que ce même point de vue se concrétise, qu’en est-il de notre capacité de visualiser le futur. Si nous savons approximativement l’état du monde toujours 20-25 ans à l’avance, c’est comme si on avait une carotte en permanence suspendue devant nous. Bref, nous savons, en gros, où on se dirige. C’est ça qui fait peur. Savoir la réponse avant la question. Autant que les magiciens font « peur » aux enfants, ces livres font « peur » au plus aride d’entre nous. Mais quand 1984 sonne l’alarme, on peut toujours regarder 2001.

16 février 2005 à 15 h 59  
Blogger Lagreff a ajouté...

" Que peut-on faire comme société ? ", demandes-tu. On peut commencer par être un individu, un qui se tient debout et s'insurge comme toi devant ce genre de nouvelle. Un, deux, mille, sept millions qui pensent pareil et c'est ce qui fait une société... différente de celle de nos voisins du Sud, fort heureusement.

16 février 2005 à 21 h 29  
Blogger Galad a ajouté...

Fiesta: une révolution? Oui, peut-être. Mais il n'est pas facile de se soulever lorsqu'on est sous l'effet de somnifères.

Coyote: Merci. Quant aux outrages, tu as raison, ils sont partout, même chez-nous. Mais est-ce là une raison suffisante pour ne rien dire?

Sébastien: En ce qui me concerne, ce n'est pas une carotte que je vois devant, mais un gros tas de merde bien chaude. Tu vois, le genre de truc qui donne plutôt envie de reculer que d'avancer. Enfin, je n'ai pas besoin d'anticiper le futur pour avoir la trouille, les actualités me suffisent souvent amplement.

Lagreff: C'est aussi ce que je pense, d'une certaine façon. Juste d'en parler, comme ça, ça donne déjà l'impression de ne pas être seule à se tenir debout. Je me demande tout de même si nous sommes si différents de nos voisins du sud... peut-être n'est-ce qu'une question de temps.

16 février 2005 à 22 h 06  

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