vendredi 11 janvier 2008

Comment perdre un million sans se fatiguer

Je ne sais pas si c'est parce que la nuit fut particulièrement tranquille ou parce que je savais que c'était mon avant-dernière avant le grand retour au travail de jour (après plus de cinq ans de vie nocturne, je tiens à préciser), mais de drôles d'idées me sont passées par la tête cette nuit. Peut-être aussi parce que c'était la fête de mon petit frère et que, comme toujours, ça me fait penser au temps qui passe, au chemin parcouru pendant ces neuf années qui me séparent de lui.

Toujours est-il que j'ai repensé à une parole d'un de mes profs de cégep. Il nous avait dit, comme ça, que nous devions nous hâter de choisir une carrière et de s'y lancer tête première, qu'en étudiant «pour le fun» ou en prenant une année pour voyager avant d'aller à l'université, nous ne perdions pas seulement notre temps, mais beaucoup d'argent. Il disait que les années de salaire perdu ne devaient pas se calculer selon nos revenus d'étudiants, disons 10000$, mais bien selon nos revenus à l'aube de la retraite, soit près de dix fois plus. À l'entendre, notre vie entière dépendait des décisions que nous devions prendre à dix-huit ans. Une année de jeunesse mal gérée, une seule, pouvait nous priver d'une jolie maison à la campagne où passer nos vieux jours.

Bien entendu, je n'ai pas suivi les bons conseils de ce professeur: à vingt-cinq ans, j'étais encore assise sur les bancs d'université, à décortiquer les textes de Nietzsche et à tenter de traduire Platon, faute de savoir quoi faire pour gagner ma vie. Puis sont venues les années à l'étranger, où à peu près tout ce que je possédais pouvait tenir dans un sac à dos. C'est cassée comme un clou rouillé que j'ai accepté un job de vérificatrice dès mon retour, un job «en attendant». En attendant quoi? Je ne l'ai jamais su. Cinq ans et trois employeurs plus tard, je troque les tête-à-tête nocturnes avec ma calculatrice pour la gestion d'une centaine d'employés. Ce n'est pas la mer à boire, mais disons que ça fera l'affaire «en attendant».

Ouais, la petite philosophe en herbe qui rêvait d'une petite vie de bohême commence à rentrer sérieusement dans les rangs. Selon le calcul du professeur de cégep, je dois bien avoir perdu un million pour avoir vécu ma jeunesse.

Pourtant, plus j'y pense, plus je me dis que ce n'est vraiment pas cher payé.

Libellés :