dimanche 27 mai 2007

Moi, mes souliers...

C'est étrange, je suis passée devant tous les jours ces trois dernières années, mais c'est ce matin seulement que j'ai réalisé le charme de cette minuscule cordonnerie de la rue Laurier. Dans la vitrine, de grands cartons colorés nous annoncent maintenant la fermeture de la boutique: "Après 30 ans à la même adresse, nous fermons pour toujours". Un artisan de plus s'offre une retraite bien méritée. D'ici quelques années, on l'aura oublié. Quand la sobre devanture aura été remplacée par des néons roses pour vendre des sushis immangeables, ou par des publicités de loterie pour vendre de la bière, seuls quelques nostalgiques diront à leurs enfants: "À l'époque, il y avait ici l'échoppe du cordonnier Untel, un brave type." Et les enfants trouveront bien étrange que des gens aient jadis préféré faire réparer leurs vieilles chaussures plutôt que d'en acheter des nouvelles.

Depuis des années, chaque fois que ma mère vient me visiter, elle ne peut s'empêcher de me narrer le Plateau de son enfance. Dès que j'emménage dans un nouvel appartement du quartier, elle me raconte qu'elle a habité en face ou à côté, qu'ici c'était la maison du Docteur, que là il y avait un petit cinéma à 50 sous, que l'oncle Albert est mort ici, au deuxième étage, que le resto Chez Madame Bolduc était autrefois l'Épicerie Bolduc, qu'elle a commencé son primaire avec les bonnes soeurs dans cette vieille bâtisse reconvertie en condominiums de luxe. Elle connaît toutes les rues par coeur et s'y retrouve les yeux fermés, mais elle se perd dès qu'elle les ouvres tellement tout a changé.

C'est peut-être un peu à cause de tous ces récits que je me sens si triste dès qu'un voisin met la clé dans la porte de son petit commerce. Et parce que je vois que, sur les débris encore tièdes, les noms des grandes chaînes américaines poussent comme des champignons. Je réalise que bientôt ce sera moi qui parlerai dans le vide en me remémorant le bon vieux Plateau où un brave type réparait des chaussures.

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